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Un bref aperçu de la musique populaire norvégienneLaurent Beeckmans
| Il n'est pas simple de dater l'origine exacte de la musique populaire ou d'en retracer le parcours précis, que ce soit en Norvège ou dans tout autre pays. La reconnaissance de son existence ainsi que son étude sérieuse n'a commencé qu'au 19ème siècle avec l'émergence de courants nationalistes et la collecte organisée de chants populaires dans les zones rurales de différents pays Européens. Parmi les compositeurs ayant participé à cet important travail de collecte, citons Ralph Vaughan Williams (Angleterre), Percy Grainger (Angleterre et Scandinavie), Joseph Canteloube (France), Belá Bartók et Zoltán Kodály (Hongrie). En Norvège, l'ouvrage de référence est le recueil de L. M. Lindeman Ældre og nyere norske Fjeldmelodier (Mélodies de montagnes de Norvège anciennes et nouvelles) paru en 1860 et dans lequel Grieg et d'autres compositeurs (surtout Svendsen et Halvorsen) ont abondamment puisé. L'instrument emblématique de la musique populaire norvégienne est le violon d'Hardanger (Hardingfele), instrument possédant outre les quatre cordes habituelles, quatre cordes sous-jacentes vibrant "par sympathie" avec les cordes frottées par l'archet. Le langeleik est une sorte de cithare que l'on actionne avec un plectre et possédant également une série de cordes produisant une harmonie fixe. Citons encore la seljefløyte, flûte à un seul trou qui ne produit que les sons harmoniques d'une note fondamentale (souvent le ré). Dans la tradition populaire authentique, les instruments ou les chanteurs ne sont jamais accompagnés. Les airs ne sont donc pas harmonisés, le seul "accompagnement" possible étant la vibration des cordes sympathiques du violon d'Hardanger ou du langeleik. De plus, il n'y a pas véritablement de distinction entre la musique instrumentale et vocale, on trouve souvent les mêmes motifs dans une mélodie chantée ou jouée et chacun des deux genres a servi de source d'inspiration à l'autre. La distinction se fait plutôt au niveau des musiques dansées et non dansées. Le types de mélodies destinées à la danse sont le springar en mesure 3/4, le halling en mesure 2/4 et le gangar en mesure 6/8. Les marches nuptiales au rythme lent et solennel servaient à accompagner les processions des marriages. Les mélodies chantées (låt) sont à l'origine des ballades dont le texte s'inspire de sujets mythologiques ou folkloriques, des chants religieux, des berceuses (bådnlåt ou vuggevise) ou encore des appels de vaches (kulokk). Plus que dans tout autre pays d'Europe, la musique traditionnelle de Norvège a survécu a travers les ages et les changements historiques, ceci s'expliquant par l'isolement (pour des raisons géographiques et climatiques) des différentes communautés de ce pays, chaque vallée ayant développé des nuances de style ou d'instrumentation qui lui sont propres. Cette conservation des airs les plus anciens va de pair avec un renouvellement constant du répertoire jusqu'à nos jours encore, ce qui fait que sous l'appellation "musique populaire norvégienne" on trouve un ensemble de musiques remarquablement riche où l'ancien et le moderne se côtoient en bon voisinage. Certains musiciens perpétuent la tradition ancestrale la plus pure (tels les violonistes Knut Buen et Annbjørg Lien) tandis que d'autres imaginent de nouveaux arrangements incorporant les formes diverses de la musique populaire contemporaine (les groupes Folque, Bukkene Bruse, Châteauneuf Spelemannslag). On peut donc dire qu'en Norvège, la culture musicale populaire ou classique, est entièrement issue des chants traditionnels de ce pays. Ceux-ci sont en tout cas indissociablement liés à l'oeuvre de Grieg, où il est parfois difficile de faire le discernement entre l'utilisation d'un chant populaire authentique et une mélodie nouvelle composée par Grieg dans le style des mélodies traditionnelles. C'est le cas par exemple de la célèbre Chanson de Solveig dans Peer Gynt, ou du thème initial de la Dance de la montagne dans les Scènes de la vie populaire op.19, thème qui a été repris par Edouard Lalo dans sa Rhapsodie norvégienne pour orchestre au mécontentement de Grieg. Le compositeur français s'en est ensuite excusé, expliquant qu'il pensait qu'il s'agissait d'un authentique chant populaire. Cette anecdote curieuse peut également amener à une réflexion légitime sur le droit d'auteur et d'arrangeur ainsi que sur la frontière floue séparant le monde de la musique "sérieuse" et celui de la musique traditionnelle. En tout respect pour Grieg, on peut s'étonner aujourd'hui de cette pratique courante jusqu'à la fin du 19ème siècle qui consistait à faire sien des compositions bâties sur des mélodies préexistantes. On peut se demander aussi pourquoi une mélodie de Grieg écrite par sa main dans le style traditionnel appartient-elle moins au répertoire traditionnel qu'une mélodie imaginée quelques décennies plus tôt par un paysan anonyme? Que cette réflexion complexe ne ternisse en rien l'apport inestimable de Grieg, car si nombre de ses opus (les Danses norvégiennes op.35, les Danses symphoniques op.64, les mélodies populaires des opus 17, 66 et 72) ne sont pas des compositions entièrement originales, c'est bien dans son extraordinaire talent d'harmoniste et d'arrangeur et dans sa volonté d'amener ces mélodies populaires dans la salle de concert qu'il faut apprécier la juste mesure de son travail. Le même mérite revient à Johan Svendsen (1840-1911) et Johan Halvorsen (1864-1935) dont les oeuvres complètent de façon intéressante l'apport de Grieg. Dans leurs Rhapsodies norvégiennes, on retrouve souvent des thèmes traditionnels que Grieg a aussi utilisés, la plupart provenant de la fameuse compilation de Lindeman. La musique populaire est encore présente - quoique dans une moindre mesure - chez les compositeurs norvégiens du 20ème siècle parmi lesquels il convient de citer Geirr Tveitt (1908-1981), arrangeur d'une centaine de mélodies traditionnelles de la région de Hardanger réparties dans 5 suites d'orchestre. | ||